J’imagine que tu ne le découvres pas, mais tout n’est pas rose dans la high-tech. Il y une idée qui a le vent en poupe en ce moment. Enfin… depuis un moment, mais ça commence vraiment à se voir.

En attendant le prochain saut quantique technologique, les dernières variables d’ajustement dans nos chères startups, grosses boîtes si essentielles à nos errements technologiques et autres flattements d’égo ; ce sont leurs utilisateurs, ceux qui bossent dedans, contribuent plus que de raison en sciant parfois sans s’en rendre compte, la poutre qu’ils ont dans l’œil.

C’est une info signée Polygon que je trouve HYPER VIOLENTE qui a démarré ma réflexion sur le sujet. Écoute un peu.

Microsoft, a viré une de ces équipes de support client de la branche gaming, celle derrière le compte twitter @XboxSupport. Ça ne représenterait que 12 personnes en charge d’un service à la marge, mais tu vas voir que ce n’est pas inintéressant. Depuis aussi loin que je me souvienne, leur rôle, c’est d’aider les gens quand ils en ont besoin pour résoudre un problème de connexion, aider aux paramétrages des consoles, informer sur l’état du Xbox Live quand il tombe, diffuser de l’info technique, etc… Bref, du boulot à faire, il y en a, parce qu’un service parfait, c’en est pas un…

Jusque là, rien de fou, ça arrive tous les jours que des gens perdent leur job.

Là où je trouve le truc sournois, c’est sur le déroulé.

Les swagués de l’ambassadeur

Parce que depuis un petit moment maintenant, Microsoft et sa branche Xbox, ont un programme ”Xbox Ambassadors”. Basiquement il s’agit de power users, des joueurs comme toi et moi à qui, s’ils en sont capables, on propose d’aider des gens dans le besoin technique contre quelques avantages prenant la forme de cadeaux, de bon d’achats (chez Microsoft) et de la ”reconnaissance”. Littéralement mon petit Bretzel.

What is an Xbox Ambassador?

Ambassadors are passionate and knowledgeable Xbox fans who strengthen the Xbox community. As a member of the program, you’ll share useful information, help fellow gamers, and unlock exclusive rewards and recognition.

Pour être éligible, il faut avoir 1500 points quéquettes minimum et savoir se tenir. On est sur du super qualitatif.

Tu la vois venir la douille ? Exactement ! Ce programme d’implication de la communauté de joueurs est semble-t-il tellement efficace qu’une partie du support officiel vient de se faire jeter.

Et qui a formé les piliers de cette communauté d’entre-aide ? Cette même équipe de support.

Quand tu soupèses une équipe de support pro qui coûte de vrais salaires avec de vraies charges et que tu la compares avec une masse informe de mecs que tu payes en manette, DLCs, et autre tee-shirts pour avatar, bon bah tu envisages deux ou trois trucs hein…

Mais c’est loin d’être un cas isolé.

Uber clive

Prends Uber et ses envies de Volvo autonomes… Bon bah c’est pareil.

On a chanté leurs louanges parce que le service rendu est mieux que celui des taxis. Eux, ils prennent la CB, ils ne tordent pas le nez sur une course à moins de 4000 balles, n’écoutent pas les grandes gueules, ne sentent pas le bon tabac froid dès 8 heures du mat’…

Mais un truc qui me taraude le séant, c’est que bien qu’Uber ne cache pas du tout ses envies de se passer de chauffeurs, bah des chauffeurs (ceux qui conduisent les gens à destination, mais aussi ceux qui surveillent l’apprentissage des voitures autonomes) continuent de bosser pour eux. Ou PIRE MÊME : d’investir dans le combo berline noire, costume noir et pastille Vichy, avant même de rentrer le moindre euro. C’est pareil quand t’es Taxi hein. Mais au moins, là tu sais que tu ne devrais pas être trop en danger. Ou on ne le sait pas encore.

You shouldn’t be heroes

Et puis on pourrait parler de Youtube et son programme de super modo du cul là, les Youtube heroes. Contre rien d’autre que des invitations autrefois réservées à la presse, des accès exclusifs à certaines fonctionnalités (souvent juste avant leur déploiement pour le reste des neuneus comme nous) on va te demander de bosser. Et là je cite Youtube directement :

Pour rester dans le Programme, les Contributeurs doivent participer activement pendant toute la période de leur adhésion. Une participation active inclut, entre autres, les actions suivantes

• Interagir sur les forums d’assistance régulièrement (tous les jours ou toutes les semaines),
• Envoyer des contributions vidéo qui seront ajoutées dans les playlists de la chaîne Assistance YouTube,
• Aider les utilisateurs sur la plate-forme Help on Social,
• Répondre rapidement aux Community Managers et participer régulièrement à des Hangouts ou à d’autres activités de groupes,
• Autres exigences indiquées par les Community Managers ou les membres du forum pendant toute la durée du Programme.

C’est chouette hein ? Tu gagnes quasi rien à part pouvoir te dire que ”Je suis spécial”, mais t’es mignon de répondre rapidement aux CMs si tu ne veux pas te faire sortir…

Mais entre toi et moi… Qui devrait faire ce taff ? Ou plutôt, à qui profite la valeur ajoutée du taff que ces modos abattent ?

Et elle est où la voiture ?

Dans le même délire, t’as les captchas Google. Tu sais les trucs où on te demande : ”Et elle est où la voiture hein ?! Elle est où ? C’est bien tu peux y aller”

Quand suffisamment de gens ont trié les images en fonction de ce qu’on leur demande, ce tri est filé comme base d’apprentissage aux algos de Google. Pour élargir le spectre opérationnel d’un classificateur d’images par exemple. Ou pour que les voitures autonomes de Google ne confondent pas une poussette et un side car… ça peut être pratique.

On peut se dire que c’est trop bien, que ”putain qu’est-ce que c’est malin”. Et puis on en profite un peu aussi… Les captchas, ça minimise un chouilla les automatisations dangereuses, et un jour grâce à ça, on aura des voitures qui nous ramèneront chez nous alors qu’on sera beurrés comme des galettes.

Mais quand même, en prouvant qu’on n’est pas cons comme des couteaux sans manches, qu’on sait faire la différence entre un panneau de signalisation et le cul d’un camion, on apprend à des robots à le faire… Des robots qui, ne t’y trompe pas, finiront par nous être revendus sous des formes diverses et variées.

Je résume :

• On prouve qu’on n’est pas des robots en faisant bien le tri comme on nous le demande.
• Ces milliers d’images triées par des humains (nous) sont données à digérer à des IAs,
• Ces IAs deviennent capables de réaliser l’exercice que nous faisions et qui était censé faire le tri entre des IAs et nous…

Il y a de quoi devenir un peu dingo quand t’y réfléchis.

Valeurs ajournées

Je sens que certains d’entre vous vont me ressortir ce bon vieil adage de con, souvent lâché en fin de repas, glissant sur les relents gazeux d’un oeuf mimosa :

”Hey si c’est gratuit c’est toi le produit, pas vrai les gars ?! Yerk yerk qué bisounours çui-là.”

Bah non, c’est pas vrai. Wikipedia, c’est gratuit pour l’utilisateur, y a pas de produit. Et pourtant ça à un coût. Les initiatives de framasoft, elles sont gratuites pour l’utilisateur, y a pas de produit. Mastodon, le Twitter décentralisé et libre c’est gratuit pour l’utilisateur… Peertube, le youtube décentralisé développé ici en France, c’est gratuit pour l’utilisateur…

Bref, des exemples où personne ne se fait baiser en demandant où se trouve le rouge à lèvres, y en a plein.

Parce que je le répète, le taff abattu par ces commus, l’exploitation de nos datas, de nos comportements, la mise à contribution des utilisateurs par des services commerciaux, ça bénéficie à qui ? Aux boîtes qui éditent ces services ? Aux utilisateurs ? Sans doute un peu des deux. Sans doute un peu plus à l’un qu’à l’autre quand même…

Plutôt que de se dire résignés que de toute façon sur Internet tout est gratuit donc tout fait de nous un produit alors à quoi bon ma brave dame…Ce serait vraiment cool qu’on se demande comment un truc qu’on ne paye pas ou peu est financé, viable. Comment il satisfait les gens qui y ont mis des billes et si ça nous va.

Parce qu’à la limite, que Youtube connaisse les sujets qui m’intéressent, fondamentalement, ça me va. Ça me permet éventuellement de trouver d’autres trucs sympas. Mais que des dizaines de boîtes soient capables, chacune dans leur spécialité, de m’analyser moi, mes actions et mes névroses, pour tirer le maximum de mon temps passé chez eux… Bah ça me pose un peu problème. Je te cache pas que la somme de tout ce qui est dehors sur mon comportement (et le tien aussi hein te fais pas d’illusion) ça ne m’aide pas à être serein. Alors que c’est un truc auquel je fais gaffe depuis mes tout premiers émois devant un modem Olitec…

Les pauvres tâchent

Mais je m’égare. Revenons à nos tâcherons. Parce qu’on l’a vu, t’analyser, c’est pas la seule façon de tirer de toi du blé sans que tu t’en rendes compte. Te faire bosser sans le savoir, c’est la nouvelle marotte des ”pas cons du net”. Et parfois, c’est plus sournois parce qu’on te présente des avancées techniques qui sont juste là pour te traire un peu de taff. Typiquement les captcha de Google. C’est un peu l’automate turque, et son dérivé moderne de chez Amazon.

Paye ton cynisme comme disent les jeunes de 2005

Sauf que personne ne te paye justement dans le cas du taff abattu via les captchas…

Il va falloir à un moment, qu’on réalise collectivement qu’une part non négligeable de ces avancées et donc de leurs retombées de plus en plus juteuses, c’est grâce à nous, utilisateurs ou petites mains. Qu’on finit par alimenter cette destruction de taff. Et que justement, beaucoup de boîtes comptent dessus pour finir par être viables ou encore plus rentables.

Et c’est pas grave d’être rentable, quand c’est sain pour tout le monde. C’est pas un gros mot. Mais si t’as un titre d’ambassadeur ou assimilé dans ta relation avec un service commercial, que tu fournis quelque part une presta, et que tu ne touches pas de thunes, tu te fais avoir. C’est aussi simple que ça. Et je ne m’exclue pas du lot hein…

Mais ce qui me réjouit c’est de voir crever une tendance que je déteste.

Jusqu’à maintenant, quand un truc utile, mais gratuit pour ses utilisateurs devenait populaire, il se faisait racheter ou des investisseurs débarquaient pour chercher à en tirer moults brouzoufs. Par exemple en y jetant de l’argent, souvent de façon complètement déraisonnable (souvient toi de la bulle de 2000, prépare-toi à celle de bientôt), pour recruter du monde (donc de la data), pour vendre de la pub et de plus en plus : placer quelques tâches de travail dans l’expérience utilisateur.

Mais ce faisant, les services concernés ont pris de l’ampleur et se sont dénaturés aux yeux de leurs utilisateurs. Si tu prends le cas Youtube, les mecs sont en train de se mettre à dos les créateurs parce que ça devient vraiment dur pour ces derniers de toucher leurs audiences. Tous les pouvoirs de la plateforme sont centralisés et des décisions aux impacts désastreux sont parfois prises sans consultation aucune. Leur but finalement, c’est de te faire rester sur le site. Pour vendre du temps de cerveau disponible… Youtube te pousse donc des vidéos qui ont plus de chances de te faire rester, mais ces recommandations risquent de t’enfermer dans une bulle de contenus. J’ai fais une super vidéo là dessus, tu devrais la regarder ;).

Et je ne te parle pas de la pub intrusive autour des vidéos et dans les vidéos…

Les intérêts de ceux qui dirigent Youtube ne sont plus les mêmes que ceux sans qui ils ne seraient rien : les créateurs et leurs communautés. L’ont-ils jamais été, c’est un autre débat…

Alors voilà, on a vu quelques exemples de comment on fini par bosser sans s’en rendre compte pour certains services du quotidien. En fournissant de la data à travailler (j’espère ne pas te l’apprendre) et parfois en faisant de la micro-tâche. Mais ce qu’on a évoqué, c’est rien. On aurait pu parler de Google Search évidemment, d’Amazon, des sites qui tapent un peu dans ton processeur pour miner de la cryptomonnaie, de Foursquare, de Waze, des comparateurs d’assurances, de voyages… Mais aussi des petites mains derrières les assistants vocaux qui décryptent pour les rendre meilleurs ce que certains d’entre-vous confient à ces daubes en sauce.

Je crois qu’on a un peu trop lâché la bride sur ce qui est fait de notre activité sur le net. Et si l’exploitation de notre activité subventionne le coût des services rendus, il faut que ce soit dit, clair et sans ambiguïté et pas planqué sous le tapis des CGUs.

Et au passage, j’en cale une pour tous ceux qui tapent sur les candides à base de :

Mais t’es tout neuf mon gars ! Tu crois qu’ils vivent comment les mecs ? Évidemment que tes mails sont lus, que ton historique est épluché, que tes visites sont analysées… faut que tu cliques la pub !

Bah bravo les connards, dire aux gens qu’ils sont trop cons, ça les encourage pas à poser des questions.

Ah oui, et ne te fais pas d’illusion, c’est pas parce qu’un service ou un produit est payant qu’on n’essore pas tout ce qu’on peut de ta relation avec ce dernier. Si ça t’intéresse, il y aurait pas mal de trucs à dire aussi sur certains services et produits payants. Dont certains ont été largement poussés par des Youtubeurs d’ailleurs.

Mais les lignes commencent à bouger et les initiatives pour reprendre la main sur tout ce bordel sont en train d’émerger. Et ce qui excite mes zygomatiques, c’est que ces alternatives sont en train de la jouer comme ces services l’ont fait à leur époque. En pillant ce qu’il y a de meilleur, ce qui fonctionne, en écoutant ce que les utilisateurs demandent. J’ai presque envie de dire ”juste retour des choses”. La différence notable c’est que ces nouvelles initiatives restent à l’écoute de leurs utilisateurs puisque ces derniers sont de plus en plus à la recherche de cette oreille non intrusive.

Et ça, ça c’est bien.